mercredi, mai 07, 2008

Palestine - Reste du monde: 1 - 0

Début 2007, EAPPI, en collaboration avec Terre des Hommes et CPT (Christian Peacemaker Team), a décidé de créer une équipe de football dans la vieille ville d'Hébron. La vieille ville est l'une des régions les plus affectées par l'occupation et la colonisation: sous contrôle total de l'armée israélienne (H2), la population palestinienne souffre d'une situation économique désastreuse, de l'omniprésence des soldats et autres check-points et du harcèlement des colons. Résultat: une jeunesse difficile, de la drogue et beaucoup de collaborateurs (des Palestiniens qui vendent des informations à l'armée israélienne). Un contraste avec la beauté des lieux (probablement le plus beau Souq (marché) de Palestine) et avec la vivacité économique d'il y a dix ans.
Notre terrain est une rue à côté d'un marchand de pigeons... Les grillages et les blocs de béton au fond empêchent l'accès à Shuhada Street, la principale rue d'Hébron il y a dix ans, aujourd'hui interdite aux Palestiniens.

Jeudi dernier, Niklas (mon collègue finlandais) et moi-même avons repris les entraînements de football (après une longue pause hivernale). Plus que nos qualités techniques et tactiques indéniables, c'est notre présence qui permet à ces entraînements d'avoir lieu. Sans internationaux, l'armée interdirait tout entraînement par mesure de "sécurité".


J'arme une frappe qui passera... trois mètres au-dessus. Rien perdu.

Autre lieu, autre présence protective, Susiya: village de tentes des South Hebron Hills, détruit à de nombreuses reprises par l'armée, harcelé régulièrement par les colons. Les EAs y passent la plupart de leurs week-ends. La semaine dernière, c'est une autre partie de football qui a animé notre soirée. Terrain de rocs, ballon dégarni, quelques hématomes. Et une victoire de la Palestine sur le reste de la communauté internationale. C'est tout ce que l'on peut espérer.


lundi, avril 14, 2008

La première gorgée de bière

Permettez-moi un petit moment de douceur dans ce monde de brutes. Il y a aussi de très bons côtés dans mon travail ici, au milieu de ce conflit. Je vous ai déjà parlé de l'accueil, des sourires, de la nourriture, du café, des amitiés.
Mais je ne vous ai pas encore parlé de la bière. "Haram!" me direz-vous. L'alcool est interdit pour les Musulmans. Mais il y a aussi des Chrétiens en Palestine. Et, aujourd'hui, j'ai visité une brasserie. Et oui, une brasserie. Celle de la bière Taybeh, "la meilleure de tout le Moyen-Orient" et la seule de Palestine.
Taybeh est l'unique village totalement chrétien de Cisjordanie et on y trouve trois églises (que j'ai visitées aussi, rassurez-vous).
La bière Taybeh a été créée en 1994 dans l'euphorie des Accords d'Oslo (qui étaient censés amener la paix au Moyen-Orient). Aujourd'hui, cette entreprise familiale est l'une des rares de Palestine (avec la compagnie de téléphonie mobile Jawwal) qui arrive à donner le tour malgré les conditions économiques en Cisjordanie.
La clé de ce succès: une méthode artisanale à l'allemande, des produits du terroir et un caractère tout palestinien.

Yasser Arafat aux côtés du patron de Taybeh beer. Même Abu Amar devait succomber aux charmes de cette blonde...

"Shooting back"

"Shooting back" pourrait être traduit par "Tirer à son tour" ou "rendre les coups (de feu)". Mais la seule arme légitime pour les EAs comme pour toutes les organisations non violentes en Cisjordanie, c'est l'appareil photo ou la vidéo. B'Tselem est l'une de ces organisations dont je vous parle si souvent (et avec quelle admiration).

En janvier 2007, B'Tselem a lancé le projet "Shooting back". Le principe est simple: donner des caméras aux Palestiniens qui vivent en zones de conflits pour qu'ils puissent à leur tour exprimer ce qu'ils vivent au quotidien. Le résultat fait parfois froid dans le dos, mais exprime mieux que mes mots la violence des colons, de l'armée, de l'occupation.

Faites un tour sur le site de B'Tselem et regardez surtout les vidéos concernant Hébron. Ca aide à comprendre.

Colons jetant des pierres sur les enfants du villages de Tuba dans les South Hebron Hills. Film de Muhammad Jundieh, 15 ans. Shooting back project. B'Tselem, 11 août 2007.

Juste deux mots sur Annapolis

Le processus d'Annapolis, en deux mots, c'est cette fameuse ambition de Bush de conclure une paix entre Israël et l'Autorité palestinienne d'ici à la fin de l'année.

Chez les Palestiniens et les Israéliens que j'ai rencontrés, l'évocation d'"Annapolis" provoque sourires sarcastiques, indifférence voire indignation. Mais, pour quelques commentateurs (dont je ne remets pas en doute la bonne foi), Annapolis est tout à fait crédible. Moi-même, je me disais: "Mais, après tout, pourquoi pas?" Malgré les check-points, malgré les colonies, malgré l'occupation... Même si les trois leaders qui sont au coeur de ce projet sont si faibles: Ehud Olmert (Premier ministre israélien) ne se remet pas de l'échec de la guerre du Liban; Mahmoud Abbas (son homologue palestinien) est perçu comme la marionnette des Américains; quant à Bush, je ne me permettrais pas de vous rappeler son incompétence crasse.

Mais, après tout, pourquoi pas?


Et bien non! On ne peut pas sérieusement y croire à Annapolis. Deux exemples récents m'ont enlevé tout espoir naïf.

Le premier date d'aujourd'hui même. Je visitais le village de Taybeh avec mes collègues de Yanoun (près de Naplouse) et un prêtre de la région (dont le frère est professeur à l'Uni de Lausanne à noter au passage). Ce prêtre nous décrivait les paysages alentour et nous dit: "Regardez. Là-bas vous pouvez voir l'avant-poste (de colonie) que les Israéliens ont enlevé suite à une promesse faite à Condoleezza Rice ("Condi", en deux mots, c'est l'émissaire de Bush dans la région pour le "processus d'Annapolis"). "Excellent!" me dis-je. Avant de constater que l'avant-poste était non seulement tout à fait bien présent, mais avait l'air d'être fait pour durer.

Colonie israélienne des environs de Taybeh.

Deuxième exemple, encore plus flagrant à mon sens. Il y a deux semaines, Olmert a promis à Condi d'enlever 50 "roadblocks" (rochers bloquant de nombreuses routes de Cisjordanie et restreignant la liberté de mouvement des Palestiniens). Certains questionnaient déjà l'efficacité d'une telle mesure étant donné qu'on compte plus de 560 obstacles physiques bloquant les routes de Cisjordanie (roadblocks, check-points, tas de terre...). Mais c'était déjà un début et les journaux (d'ici du moins) ont loué cette mesure à grand renfort de photos montrant les soldats débloquant les routes.


Un roadblock.

Or, il y a deux semaines, je me suis rendu dans mon ancien placement de Tulkarem et j'y ai rencontré mon ami qui travaille pour l'ONG israélienne B'Tselem. Et il m'en a parlé des roadblocks: sur trois routes des environs de Tulkarem, l'armée israélienne a mis en place un roadblock le mardi matin. Et l'après-midi, les mêmes soldats sont venus enlever les rochers à grand renfort de journalistes et de photographes. Je n'y croyais pas honnêtement. Mais l'information a été confirmée par d'autres sources tout aussi sérieuses et pas seulement dans la région de Tulkarem. Merci pour la bonne foi. Et pour la propagande digne de la défunte URSS.

Vous avez dit Anna qui?

mercredi, mars 26, 2008

Beaucoup à faire, trop à dire

Je néglige un peu mon blog. Je l'avoue. Ca doit être le rythme d'Hébron. On est quatre au lieu de deux pourtant. Et en plus jeunes, efficaces et motivés.

C'est peut-être ça le truc, très motivés. Du coup on est un peu tout le temps sur le pied de guerre (mauvaise expression dans ce contexte).
Tous les jours entre 07.00 et 08.00 et 12.00 er 13.00 pour accompagner les enfants à l'école.

Chaque week-end à Susiya dans ce village des collines du Sud d'Hébron pour assurer une présence internationale qui démotive les colons à venir attaquer les Palestiniens du lieu.

Récemment, on a assuré une présence similaire dans des maisons palestiniennes menacées à Hébron même par les excès des colons lors de la fête de Purim. Bilan: notre école et 4 familles palestiniennes attaquées.

Ensuite, il y a les patrouilles dans la ville, les rapports sur la situation, les soldats...








Aujourd'hui, j'ai même eu la chance de faire visiter la ville à une groupe de l'Uni de Lausanne. De l'advocacy en direct. Passionnant de pouvoir montrer, pour de vrai, cette situation absurde. Je crois qu'ils ont apprécié, et compris, que quelque chose clochait par ici.

Bref, après ces journées de souvent 12 heures, j'ai de la peine à trouver l'énergie pour expliquer tout ce que je vis par des mots.

jeudi, mars 13, 2008

Une ville fantôme

S'il y a une chose sur laquelle nous nous accordons, mes nouveaux collègues et moi, c'est le fait que Hébron est surréelle. Une ville totalement à la masse pour être honnête. Hébron (Al Khalil en arabe) est un peu le condensé ou le laboratoire de l'occupation et de la Cisjordanie: une vingtaine de check-points dans la vieille ville, 400 colons israéliens (et les plus fanatiques) pour 170'000 Palestiniens et environ 1500 soldats dont la seule tâche est la protection de ces colons.
Un colon et deux soldats israéliens

Pourtant, il y a trente ans, Hébron était une ville dynamique, la deuxième plus grande de Cisjordanie et l'un des centres économiques les plus importants de Palestine. Qu'est-ce qui a bien pu rendre cette ville ainsi? Comme pour beaucoup d'endroits dans cette région du monde, c'est paradoxalement la "sainteté" de la ville qui l'a desservie. Hébron abrite le Tombeau des Patriarches, le lieu où Abraham et sa femme Sarah ont été enterrés. Or, Abraham est l'ancêtre commun des trois religions, Juive, Musulmane et Chrétienne. Ainsi, le Tombeau est le deuxième lieu saint pour les Juifs, le quatrième pour les Musulmans (connu sous le nom de Mosquée d'Ibrahim).
Le Tombeau des Patriarches et, au premier plan, la colonie de Beit Romano

Dans les années 1980, un petit groupe de colons israéliens s'installent dans la vieille ville et depuis, ils n'en sont plus sortis, annexant de plus en plus de territoires. En 1997, trois ans après la signature des Accords d’Oslo, le Protocole d’Hébron a été signé entre l’Autorité palestinienne et le Gouvernement israélien. Un protocole qui divise la ville en deux : H1, sous contrôle palestinien (similaire aux Area A dans le reste de la Cisjordanie) et H2, sous contrôle israélien (Area C).
Aujourd’hui, 4 colonies sont établies dans H2 : Tel Rumeida, Beit Hadassah, Beit Romano et Avraham Avinu. De 400 à 800 colons, protégés par 1500 soldats au milieu des 40'000 Palestiniens vivant dans H2. Certaines routes sont interdites aux Palestiniens, des maisons palestiniennes sont tantôt prises par les colons ou par l’armée (pour des raisons de « sécurité »), des check-points sont installés à des endroits stratégiques pour protéger les colonies.


CP56: l'un des check-points d'Hébron (en haut à gche); Shuhaddah street, une rue (fantôme) interdite aux Palestiniens (drte). Et une autre rue, grillagée, pour empêcher les colons qui habitent au 1er étage de lancer des ordures sur les Palestiniens.

Les effets de cette colonisation ont été dévastateurs pour l’économie d’Hébron d’autant qu’une grande partie de la vieille ville et du marché d’Hébron sont sous H2 : 42% des habitations du centre ville ont été évacuées par les Palestiniens. 77% des établissements commerciaux ne sont plus ouverts et au moins 440 car ils ont été directement fermés par ordre militaire. Au début de la deuxième Intifada (2000), Hébron a été sous couvre-feu durant 182 jours, les habitants ne pouvant sortir de leur maison qu’une à deux heures par jour.

D’où mon titre de « Ville fantôme ». Quand on patrouille les rues d’Hébron-H1, on sent la chaleur d’une ville arabe, son souk, ses épices, ses bruits. Mais, quand on se rapproche de H2, les habitants commencent à disparaître, le silence s’installe indiciblement et les premiers soldats apparaissent. La vie est comme suspendue, surréelle. Kafka encore.
Je remercie par ailleurs mon collègue finlandais Niklas Saxen qui m'a aidé à préparer ce petit article sur Hébron.

mardi, mars 04, 2008

Welcome in Hebron

"Welcome in Hebron" est le titre du film du Sédunois David Fournier. Cet ancien EA était placé à Hébron en 2006 et c'est en lisant l'un de ses interviews dans Le Nouvelliste que j'ai décidé de devenir à mon tour un EA. Les Hébronites se souviennent encore avec émotion de David et David ne les a pas oubliés non plus.

Joute verbale entre un Palestinien (gche) et un jeune colon (drte) devant un soldat Israélien.

Me voici donc dans cette ville du Sud de la Cisjordanie, la plus peuplée de Palestine (170'000 habitants). La problématique ici diffère sensiblement de celle de Tulkarem puisque qu'elle concerne principalement la colonisation israélienne. 400 colons habitent le centre-ville et rendent la vie des Palestiniens très difficile: routes bloquées ou interdites, check-points et violences en tout genre. L'armée est présente en nombre (environs 1500 soldats), mais sa tâche principale est la protection des colons et non celle des Palestiniens.

Bref, de quoi donner assez de travail à mes trois collègues et moi. Comme je viens de rentrer d'un court séjour en Suisse, je ne vais pas entrer dans les détails de nos activités et de la situation ici, mais je voulais déjà vous donner un avant-goût de ce qui m'attend dans les semaines qui vont suivre.

jeudi, février 14, 2008

De la valeur des hommes

Ce soir une femme est morte dans un village des alentours de Tulkarem car les soldats du check-point d'Al Jarushiya n'ont pas laissé passer l'ambulance qui venait la chercher. A Anabta, un autre CP que nous observons régulièrement, les soldats tiraient sur toute personne essayant de sortir de son véhicule. Nous n'étions pas là et nous n'aurions probablement rien pu faire. Le CICR nous avait assuré qu'ils coordonnaient le libre passage des ambulances aux divers CP.

Personne ne parlera de cet "incident" dans la presse suisse ou internationale demain. Un numéro de plus parmi les civils Palestiniens qui meurent chaque jour en Cisjordanie ou à Gaza. Les Palestiniens ne sont que des animaux sur lesquels on peut tirer sans avoir de comptes à rendre à personne. Ce sont tous des terroristes après tout. Je ne savais pas que certains hommes avaient plus de valeur que d'autres.



La Saint Valentin à Tulkarem

En ce soir de Saint Valentin, des centaines de personnes attendent sous la pluie de pouvoir sortir de Tulkarem et rentrer chez eux. Trois nouveaux check-points (CP) ont été installés autour de Tulkarem (Shwaika, Bal'a et Far'oun) et empêchent quiconque de quitter Tulkarem depuis midi. Un de nos amis et Field worker pour une ONG israélienne des droits de l'homme est bloqué depuis plus de cinq heures à un CP.
Impossible pour nous ni même pour le CICR de faire quoi que ce soit car c'est l'armée israélienne qui dicte les règles ici. Impossible pour moi de vous décrire sur ce blog ce qu'est la vie sous occupation. Même Kafka n'aurait pas pu imaginer une telle situation où quiconque peut être arrêté pour la seule faute d'être Palestinien et où les soldats tirent à balles réelles sur les enfants qui jettent des pierres.

mardi, février 12, 2008

Tulkarem sous scellés

Depuis une semaine jour pour jour, Tulkarem et ses environs sont bloqués par l'armée israélienne. Un nouveau flying check-point (CP) a été mis en place à Al Jarushiya, entre Tulkarem et Deir al-Ghusun, et les CP d'Anabta et d'Alras/Jbarah sont plus difficiles que jamais.

Flying CP d'Al Jarushiya

Les jeunes gens de moins de 35 ans résidant au Nord de Tulkarem ne peuvent franchir le CP d'Al Jarushiya. Parmi bien d'autres cas, un médecin n'a pas pu gagner l'hôpital de Tulkarem et beaucoup de nos étudiants de l'Université de Kadoorie n'ont jamais pu assister à notre cours de lundi.

Quant aux jeunes de Tulkarem, il leur est pratiquement impossible de sortir de leur ville par les check-points d'Anabta et d'Alras/Jbarah. Le concert de Dar Qandeel (notre groupe de musique local), prévu à Qalqilia mercredi, a dû être annulé. Par ailleurs, Azzun, un village au Sud de Tulkarem, est sous couvre-feu depuis une semaine également.

Mes trois valeureux étudiants. L'un d'entre eux a même échappé à la vigilance de l'armée pour venir à mon cours.
La situation est comme paralysée, un coup dur de plus pour l'économie locale qui n'avait pas besoin de ça. Et un coup de plus porté au moral des Tulkarémites. L'argument sécuritaire est avancé par l'armée, mais cela ressemble une fois de plus à une punition collective suite à l'attentat de Dimona. D'aucuns craignent que ce bouclage du Nord de la Cisjordanie annonce une future attaque sur Gaza. Mais il nous faut espérer que cela ne soit pas le cas.

mardi, février 05, 2008

Un petit gauchiste d'Europe

"Tu n'es qu'un petit gauchiste d'Europe!" Voilà ce que m'a dit un soldat israélo-français à un check-point ce soir alors que je lui demandais si un bus avec des femmes et des enfants pouvait passer devant la queue d'une cinquantaine de voitures bloquées depuis des heures par ce même soldat. Petit, je peux pas nier. D'Europe non plus. Même si la Suisse c'est pas vraiment l'Europe. Gauchiste, j'ai toujours un peu de peine avec la connotation parfois négative du terme et je viens finalement plutôt d'une famille de centre-droit. Bref, je me suis remis en question. Ne suis-je qu'un "petit gauchiste d'Europe"? Est-ce que ce que je fais ici a réellement un sens ou ne suis-je qu'un stupide utopiste? Ou pire, est-ce que j'aide les Palestiniens qui ne sont, en fin de compte, que des terroristes?

Aujourd'hui, j'ai vu un paysan d'une quarantaine d'années pleurer en nous expliquant sa vie ici entre le mur et une fabrique de produits chimiques. Fatigué de se battre pour continuer à cultiver sa terre et de subir pressions et menaces.

J'ai vu un enfant d'à peine 4 ans attendre des heures à ce même check-point car son père a 32 ans et aucun homme entre 18 et 35 ans n'était autoriser à sortir de Tulkarem pour rejoindre les villages alentours.

Quatre familles de Far'un, un village des environs de Tulkarem, se demandent chaque soir quand les soldats et les bulldozers viendront détruire leurs maisons, "trop proches du mur". Et construites 4 ans avant ce même mur.

Alors je sais bien que deux Palestiniens perdus et minables se sont fait exploser à Dimona hier. Et ça m'emmerde. Ca m'emmerde parce qu'une femme est morte. Ca m'emmerde parce qu'ils ne comprennent pas que tuer des innocents ça n'aide personne. Ca m'emmerde parce que ça légitime en quelques sortes tout ça: les punitions collectives, le mur, les maisons démolies, les paysans qui pleurent et les enfants aux check-points. Ca m'emmerde parce que ces punitions collectives créent de la rancoeur, de la haine et poussent certains Palestiniens à des actes désespérés et destructeurs.

Alors oui, je me remets en question. Mais si tenter de minimiser les violations des droits humains dans une région au bout du rouleau c'est n'être qu'un petit gauchiste d'Europe. Alors oui. Pourquoi pas? Et finalement, alors que cet arrogant soldat français menaçait de m'arrêter et me poussait loin de ce check-point, le bus plein d'enfants passait le barrage et continuait sa route.


Abdulkarim Saadi (à gauche) et Abdulkarim Dalbah (à droite), deux Palestiniens qui luttent pour un peu plus de respect des droits de l'homme ici depuis des années (avec B'Tselem, ONG israélienne, et ISM). Et qui, malgré tout, continuent de sourire. Quand je travaille avec eux, je ne me demande plus ce que je fais ici.

samedi, février 02, 2008

Nazlat 'Isa sur Couleur 3

Vendredi 1er février, j'ai pu parler de Nazlat 'Isa sur Couleur 3. Dans l'émission "Que de la radio" avec Catherine Fattebert. Aux alentours de 11.40. J'avais déjà parlé de Jbarah et d'Hébron les vendredis précédents et je continuerai encore pour quelques vendredis, à la même heure. Pour en savoir plus sur Nazlat 'Isa, vous pouvez consulter mon message "Un après-midi à Nazlat 'Isa". Bien à vous.




mercredi, janvier 30, 2008

Neige et résistance

Jérusalem sous la neige (Copyright MaanImages)

L'hiver est arrivé. La neige est tombée sur Jérusalem, Ramallah, Naplouse et Hébron. Peu, certes, quelques millimètres. Mais pour tout Palestinien qui se respecte, un millimètre de neige équivaut à un jour de congé. Ainsi, même si la neige n'est pas tombée chez nous à Tulkarem (ou peut-être quelques flocons durant la nuit, selon certains), les écoles étaient fermées.



En ce jour de pluie (voire de grêle) et de froid, nous avons tout de même décidé de nous risquer hors de notre maison. Notre but était d'observer le check-point Beit Iba, porte d'entrée de Naplouse. Habituellement, le trajet de quelques kilomètres dure environ 15 minutes. Aujourd'hui, il nous a fallu 2 heures et demi pour arriver à destination. Un check-point volant était placé sur notre route, en plus du check-point permanent d'Anabta. Comme si cela ne suffisait pas, les soldats demandaient aux Palestiniens de moins de quarante ans de sortir de leur voiture et de lever leur veste et leur T-shirt pour bien montrer qu'ils n'avaient pas de bombe sur eux.
Palestiniens qui doivent sortir de leur taxi pour montrer qu'ils n'ont pas de bombe sur eux...

Quand on voit la légèreté de ces mêmes soldats, sourire arrogant aux lèvres, on se dit qu'ils seraient bien mal barrés pour réagir si quelqu'un avait véritablement une bombe. Mais je vous rassure, les chances sont minces. Le but premier de telles manoeuvres en plein territoire palestinien (et non à la frontière avec Israël) n'est pas l'éternel argument sécuritaire. C'est faire patienter durant des heures les Palestiniens qui rentrent de leur travail chez eux, leur ordonnant de lever leur T-shirts sous la pluie et les faisant tourner sur eux-mêmes pour les humilier. C'est ça l'"occupation", c'est chaque jour ajouter une nouvelle absurdité, une nouvelle humiliation.



La queue des véhicules qui patientent des heures chaque soir au check-point d'Anabta.

Mais, dans mon bus, mes voisins palestiniens avaient encore le coeur à plaisanter, voire à rire. C'est sûrement ça la résistance.




mardi, janvier 29, 2008

So far so good

Il y a de petites choses aussi qui ont changé depuis le mur de séparation. Avant 2005, les Palestiniens de Tulkarem pouvaient sans autre se rendre en Israël: boire un café à Netanya ou Haïfa (photo ci-dessus) et profiter de la mer.

Aujourd'hui, c'est sur les hauteurs de Tulkarem que nous devons nous rendre pour apercevoir Netanya ou pour distinguer au loin la Méditerranée. C'est ce que nous avons fait ce soir avec Linda et nos amis Moa'wye (le mythique chauffeur de taxi du bolide "So far so good") et Motaz. Bryan Adams et Michael Bolton ont ajouté un peu à la mélancolie du moment.


Linda, Motaz, Moa'wye et moi




Convoi humanitaire pour Gaza

A l’appel de diverses organisations israéliennes, nous avons participé samedi dernier à un convoi humanitaire/manifestation en faveur de la population de Gaza. Environ 1500 personnes, Israéliens et internationaux se sont rendus à Erez, un point de passage entre Gaza et Israël. Le cortège de voitures et de bus a fait fort impression. La plupart d’entre nous avaient apporté des denrées de base ou des médicaments.

Quelques'unes de mes collègues (et cheffes) apportant leurs paquets vers Gaza.

La police et l’armée israéliennes ne nous ont pas empêché d’atteindre le point de passage d’Erez, mais impossible d’aller plus loin et de joindre la manifestation organisée à Gaza par nos alter ego palestiniens. Honnêtement, à l’heure où je vous écris, je ne suis pas certain que la nourriture et les médicaments soient bien arrivés à destination.
Mais l’essentiel était peut-être ailleurs : montrer aux Palestiniens que certains Israéliens ne sont pas indifférents au sort des Gazaouis. Et, quand on est Israélien, coller une pancarte « Free gaza » sur sa voiture et se balader à travers le pays, demande un courage certain. Ce message a semble-t-il passé puisqu’à notre retour à Tulkarem, nombre de nos contacts nous ont parlé de cette manifestation (Merci Al Jazeera) et étaient fiers de nous savoir de la partie.

Globalement, la situation à Gaza s’est sensiblement améliorée grâce aux brèches vers l’Egypte. Mais la vie dans cette étroite bande de terre (360 km2) n’est de loin pas rose pour ses quelques 1,5 millions d’habitants : environ 70% de chômage et 40% de la population n’a pas accès à l’eau courante, selon les derniers chiffres de l’ONU. Alors espérons que le gouvernement israélien renonce à ce blocus qui n’empêchera pas les extrémistes de tirer des roquettes sur la ville israélienne de Sderot. Cette punition collective, qui pourrait mener à un véritable désastre humanitaire, renforcera au contraire ces extrémistes en créant inévitablement de nouvelles vocations néfastes.


dimanche, janvier 20, 2008

Team spirit

J'ai réalisé que je n'avais pas encore mis de photo de mon équipe à Tulkarem. La voici donc: Linda et moi... On a perdu notre troisième équipier en route, Lerato. Après avoir été détenu 26 heures à l'aéroport de Tel-Aviv à son arrivée en décembre, il n'a obtenu qu'un visa d'un mois. Le voici donc de retour en Afrique du Sud, malgré les efforts de gens très haut placés. Pourquoi? J'ai ma petite idée là-dessus, mais je vais éviter de polémiquer.



Quoi qu'il en soit, notre équipe est efficace. Linda a bientôt 29 ans, deux bachelors et un master de LSE (London School of Economics). Et avant la Palestine, elle a travaillé pour l'ONU à Bruxelles. Ne lui demandez pas si elle est Chinoise ou Coréenne car elle est Norvégienne!
A côté, quand je me présente, je fais pâle figure et Linda se prend parfois pour ma grande soeur. Mais je vous rassure, le chef, c'est moi.

vendredi, janvier 18, 2008

Jbarah sur Couleur 3

Couleur 3 m'a donné l'opportunité de passer dans "Que de la radio" ce matin (Vendredi 18 janvier, 09.30) pour parler de la situation du village de Jbarah. Si vous voulez écouter mon intervention, allez sous http://www.couleur3.ch/fr/rsr.html?siteSect=100.




Farouq, fermier et membre du conseil municipal de Jbarah, devant l'école primaire que le Gouvernement israélien menace de détruire..

mercredi, janvier 09, 2008

Un après-midi à Nazlat 'Isa

Nazlat 'Isa est un village à quelques encablures de Deir al-Ghusun. Nous nous y sommes rendus cet après-midi avec notre contact Samar. Nazlat 'Isa est un village comme bien d'autres en Palestine: coupé par le Mur de séparation (Un point d'explication: généralement, la barrière de séparation devient un vrai mur en territoires urbains).

Ici, contrairement à Deir al-Ghusun, rien à redire sur le tracé du Mur: il est pile sur la ligne verte (la ligne de partage de 1967, reconnue internationalement, entre Israël et les territoires palestiniens). Le seul problème c'est que cette ligne verte coupe le village en deux. Et l'armée israélienne n'y est pas allée par quatre chemins, détruisant certaines maisons et séparant des familles: une partie en Israël, une autre en Palestine, sans leur donner la permission de se rencontrer. Certes, ici aussi, un check-point permet de passer de l'autre côté, mais il est impossible d'obtenir un permis. Nous avons également pu, une fois de plus, apprécier la bonhomie des soldats et, si je m'étonne de ma patience ici, j'admire surtout celle des Palestiniens.

L'armée israélienne a ici détruit une pharmacie pour construire le mur.

Le Mur a également totalement anéanti l'économie du village qui était l'un des plus prospères du nord de la Cisjordanie. Les commerçants avaient autrefois la possibilité de faire des affaires avec Tulkarem et avec Israël. Aujourd'hui, l'un et l'autre est difficile, voire impossible. Nazlat 'Isa est par conséquent devenu un village fantôme: tous les hommes sont partis travailler ailleurs et il n'y a qu'un ou deux magasins ouverts.

Deux anecdotes pour achever ce bref portrait de Nazlat 'Isa. Celle de ce père qui avait construit une maison pour ses fils. Malheureusement pour lui, celle-ci se trouve juste à côté du mur (du côté palestinien) et est la plus haute des environs. L'armée israélienne a donc simplement décidé d'établir un poste sur le toit de cette maison, ruinant la possibilité pour cette famille d'avoir une vie normale.


Une autre histoire de maison: celle de cet homme qui célébrait son mariage dans sa nouvelle demeure (En Palestine, le mari doit construire une maison avant son mariage pour sa femme et sa future famille). L'armée israélienne a non seulement décidé de détruire cette maison, trop proche du mur, mais elle a choisi le jour même du mariage. Un beau cadeau pour sa femme, sa famille et ses amis.


La maison du marié


Et cet après-midi, pas d'enfants pour nous donner un signe d'espoir.

Un matin à Deir al-Ghusun

Cette semaine, c'est notre semaine Deir al-Ghusun. On se lève tous les matins à 04:30 pour être à la porte agricole de Deir al-Ghusun vers 05:30. Qu'est-ce qu'une porte agricole me direz-vous? C'est un passage à travers la barrière de séparation qui permet à quelques paysans d'aller cultiver leurs terres. Comme je le décris déjà dans mon message "Notre mission/agricultural gates", la barrière de séparation ne sépare pas Israël des territoires palestiniens, mais la Palestine de la Palestine.
Ma collègue Linda observant la situation à la porte agricole de Deir al-Ghusun.

Le grand village de Deir al-Ghusun (environ 10'000 habitants) a perdu 3'000 dunums (un dunum = environ un km2) de terres agricoles lorsque la barrière a été construite. Une confiscation illégale que (presque) personne ne remet en question aujourd'hui. Une seule porte permet aux paysans d'aller cultiver leurs oliviers et elle n'est ouverte que trois fois par jour durant une heure. De plus, un permis spécial est nécessaire et les démarches pour l'obtenir sont de plus en plus complexes. Résultat: seule une soixantaine de personnes peuvent aujourd'hui gagner leurs terres contre des centaines avant la barrière.

Ce matin, comme chaque matin, nous sommes allés faire quelques statistiques pour l'UNOCHA et observer la situation à la porte de Deir al-Ghusun. Le contraste entre les jeeps énormes de l'armée et les mulets des Palestiniens est frappant (aucune voiture ne peut passer les gates, même si les tracteurs sont aujourd'hui autorisés). Par un froid de canard, les soldats demandent aux paysans de lever leur T-shirts et de tourner sur eux-mêmes. Comme à chaque fois, ils argument que chaque Palestinien pourrait cacher une bombe sous ses vêtements et me conseillent de voir le film "The Kingdom" qui montre très bien que chaque Arabe est un terroriste en puissance. Merci...

Notre contact Khaled observant la barrière de séparation et ses terres de l'autre côté.

Ce matin, pour le plus grand plaisir de ma collègue norvégienne, Khaled, un de nos contacts et probablement l'un des paysans les plus sexys de Palestine, avait oublié sa carte d'identité, ce qui ne lui laissait aucune chance de passer la porte. Loin de s'apitoyer sur son sort, il nous a proposé de nous faire visiter les ruines ottomanes des environs. Arpentant de vieilles routes à travers les paysages magnifiques d'oliviers, j'en oubliais presque la situation politique. Mais ici, tout rappelle le conflit: une maison détruite pas l'armée (il est interdit de construire à moins d'un km de la clôture) et une jeep de l'armée effectuant sa ronde le long de la barrière me ramenaient vite à la réalité. Khaled nous expliqua aussi sa situation: son père avait déjà perdu 38 dunums de terre en 1967, lors de la guerre israélo-arabe. Avec la barrière, ce sont 45 autres dunums qui sont aujourd'hui menacés. Or, l'Etat israélien n'a aucune raison pour placer la barrière ainsi: il n'y a aucune colonie juive et l'argument sécuritaire n'est pas non plus valide. Il s'agit seulement d'un moyen pour confisquer quelques terres fertiles.

Khaled nous a ensuite invité chez lui pour boire un thé et un café. Et quand je l'ai vu s'amuser avec ses enfants, je me suis dit que la vie ici était certes dure, mais aussi parfois très belle.