mercredi, janvier 30, 2008

Neige et résistance

Jérusalem sous la neige (Copyright MaanImages)

L'hiver est arrivé. La neige est tombée sur Jérusalem, Ramallah, Naplouse et Hébron. Peu, certes, quelques millimètres. Mais pour tout Palestinien qui se respecte, un millimètre de neige équivaut à un jour de congé. Ainsi, même si la neige n'est pas tombée chez nous à Tulkarem (ou peut-être quelques flocons durant la nuit, selon certains), les écoles étaient fermées.



En ce jour de pluie (voire de grêle) et de froid, nous avons tout de même décidé de nous risquer hors de notre maison. Notre but était d'observer le check-point Beit Iba, porte d'entrée de Naplouse. Habituellement, le trajet de quelques kilomètres dure environ 15 minutes. Aujourd'hui, il nous a fallu 2 heures et demi pour arriver à destination. Un check-point volant était placé sur notre route, en plus du check-point permanent d'Anabta. Comme si cela ne suffisait pas, les soldats demandaient aux Palestiniens de moins de quarante ans de sortir de leur voiture et de lever leur veste et leur T-shirt pour bien montrer qu'ils n'avaient pas de bombe sur eux.
Palestiniens qui doivent sortir de leur taxi pour montrer qu'ils n'ont pas de bombe sur eux...

Quand on voit la légèreté de ces mêmes soldats, sourire arrogant aux lèvres, on se dit qu'ils seraient bien mal barrés pour réagir si quelqu'un avait véritablement une bombe. Mais je vous rassure, les chances sont minces. Le but premier de telles manoeuvres en plein territoire palestinien (et non à la frontière avec Israël) n'est pas l'éternel argument sécuritaire. C'est faire patienter durant des heures les Palestiniens qui rentrent de leur travail chez eux, leur ordonnant de lever leur T-shirts sous la pluie et les faisant tourner sur eux-mêmes pour les humilier. C'est ça l'"occupation", c'est chaque jour ajouter une nouvelle absurdité, une nouvelle humiliation.



La queue des véhicules qui patientent des heures chaque soir au check-point d'Anabta.

Mais, dans mon bus, mes voisins palestiniens avaient encore le coeur à plaisanter, voire à rire. C'est sûrement ça la résistance.




mardi, janvier 29, 2008

So far so good

Il y a de petites choses aussi qui ont changé depuis le mur de séparation. Avant 2005, les Palestiniens de Tulkarem pouvaient sans autre se rendre en Israël: boire un café à Netanya ou Haïfa (photo ci-dessus) et profiter de la mer.

Aujourd'hui, c'est sur les hauteurs de Tulkarem que nous devons nous rendre pour apercevoir Netanya ou pour distinguer au loin la Méditerranée. C'est ce que nous avons fait ce soir avec Linda et nos amis Moa'wye (le mythique chauffeur de taxi du bolide "So far so good") et Motaz. Bryan Adams et Michael Bolton ont ajouté un peu à la mélancolie du moment.


Linda, Motaz, Moa'wye et moi




Convoi humanitaire pour Gaza

A l’appel de diverses organisations israéliennes, nous avons participé samedi dernier à un convoi humanitaire/manifestation en faveur de la population de Gaza. Environ 1500 personnes, Israéliens et internationaux se sont rendus à Erez, un point de passage entre Gaza et Israël. Le cortège de voitures et de bus a fait fort impression. La plupart d’entre nous avaient apporté des denrées de base ou des médicaments.

Quelques'unes de mes collègues (et cheffes) apportant leurs paquets vers Gaza.

La police et l’armée israéliennes ne nous ont pas empêché d’atteindre le point de passage d’Erez, mais impossible d’aller plus loin et de joindre la manifestation organisée à Gaza par nos alter ego palestiniens. Honnêtement, à l’heure où je vous écris, je ne suis pas certain que la nourriture et les médicaments soient bien arrivés à destination.
Mais l’essentiel était peut-être ailleurs : montrer aux Palestiniens que certains Israéliens ne sont pas indifférents au sort des Gazaouis. Et, quand on est Israélien, coller une pancarte « Free gaza » sur sa voiture et se balader à travers le pays, demande un courage certain. Ce message a semble-t-il passé puisqu’à notre retour à Tulkarem, nombre de nos contacts nous ont parlé de cette manifestation (Merci Al Jazeera) et étaient fiers de nous savoir de la partie.

Globalement, la situation à Gaza s’est sensiblement améliorée grâce aux brèches vers l’Egypte. Mais la vie dans cette étroite bande de terre (360 km2) n’est de loin pas rose pour ses quelques 1,5 millions d’habitants : environ 70% de chômage et 40% de la population n’a pas accès à l’eau courante, selon les derniers chiffres de l’ONU. Alors espérons que le gouvernement israélien renonce à ce blocus qui n’empêchera pas les extrémistes de tirer des roquettes sur la ville israélienne de Sderot. Cette punition collective, qui pourrait mener à un véritable désastre humanitaire, renforcera au contraire ces extrémistes en créant inévitablement de nouvelles vocations néfastes.


dimanche, janvier 20, 2008

Team spirit

J'ai réalisé que je n'avais pas encore mis de photo de mon équipe à Tulkarem. La voici donc: Linda et moi... On a perdu notre troisième équipier en route, Lerato. Après avoir été détenu 26 heures à l'aéroport de Tel-Aviv à son arrivée en décembre, il n'a obtenu qu'un visa d'un mois. Le voici donc de retour en Afrique du Sud, malgré les efforts de gens très haut placés. Pourquoi? J'ai ma petite idée là-dessus, mais je vais éviter de polémiquer.



Quoi qu'il en soit, notre équipe est efficace. Linda a bientôt 29 ans, deux bachelors et un master de LSE (London School of Economics). Et avant la Palestine, elle a travaillé pour l'ONU à Bruxelles. Ne lui demandez pas si elle est Chinoise ou Coréenne car elle est Norvégienne!
A côté, quand je me présente, je fais pâle figure et Linda se prend parfois pour ma grande soeur. Mais je vous rassure, le chef, c'est moi.

vendredi, janvier 18, 2008

Jbarah sur Couleur 3

Couleur 3 m'a donné l'opportunité de passer dans "Que de la radio" ce matin (Vendredi 18 janvier, 09.30) pour parler de la situation du village de Jbarah. Si vous voulez écouter mon intervention, allez sous http://www.couleur3.ch/fr/rsr.html?siteSect=100.




Farouq, fermier et membre du conseil municipal de Jbarah, devant l'école primaire que le Gouvernement israélien menace de détruire..

mercredi, janvier 09, 2008

Un après-midi à Nazlat 'Isa

Nazlat 'Isa est un village à quelques encablures de Deir al-Ghusun. Nous nous y sommes rendus cet après-midi avec notre contact Samar. Nazlat 'Isa est un village comme bien d'autres en Palestine: coupé par le Mur de séparation (Un point d'explication: généralement, la barrière de séparation devient un vrai mur en territoires urbains).

Ici, contrairement à Deir al-Ghusun, rien à redire sur le tracé du Mur: il est pile sur la ligne verte (la ligne de partage de 1967, reconnue internationalement, entre Israël et les territoires palestiniens). Le seul problème c'est que cette ligne verte coupe le village en deux. Et l'armée israélienne n'y est pas allée par quatre chemins, détruisant certaines maisons et séparant des familles: une partie en Israël, une autre en Palestine, sans leur donner la permission de se rencontrer. Certes, ici aussi, un check-point permet de passer de l'autre côté, mais il est impossible d'obtenir un permis. Nous avons également pu, une fois de plus, apprécier la bonhomie des soldats et, si je m'étonne de ma patience ici, j'admire surtout celle des Palestiniens.

L'armée israélienne a ici détruit une pharmacie pour construire le mur.

Le Mur a également totalement anéanti l'économie du village qui était l'un des plus prospères du nord de la Cisjordanie. Les commerçants avaient autrefois la possibilité de faire des affaires avec Tulkarem et avec Israël. Aujourd'hui, l'un et l'autre est difficile, voire impossible. Nazlat 'Isa est par conséquent devenu un village fantôme: tous les hommes sont partis travailler ailleurs et il n'y a qu'un ou deux magasins ouverts.

Deux anecdotes pour achever ce bref portrait de Nazlat 'Isa. Celle de ce père qui avait construit une maison pour ses fils. Malheureusement pour lui, celle-ci se trouve juste à côté du mur (du côté palestinien) et est la plus haute des environs. L'armée israélienne a donc simplement décidé d'établir un poste sur le toit de cette maison, ruinant la possibilité pour cette famille d'avoir une vie normale.


Une autre histoire de maison: celle de cet homme qui célébrait son mariage dans sa nouvelle demeure (En Palestine, le mari doit construire une maison avant son mariage pour sa femme et sa future famille). L'armée israélienne a non seulement décidé de détruire cette maison, trop proche du mur, mais elle a choisi le jour même du mariage. Un beau cadeau pour sa femme, sa famille et ses amis.


La maison du marié


Et cet après-midi, pas d'enfants pour nous donner un signe d'espoir.

Un matin à Deir al-Ghusun

Cette semaine, c'est notre semaine Deir al-Ghusun. On se lève tous les matins à 04:30 pour être à la porte agricole de Deir al-Ghusun vers 05:30. Qu'est-ce qu'une porte agricole me direz-vous? C'est un passage à travers la barrière de séparation qui permet à quelques paysans d'aller cultiver leurs terres. Comme je le décris déjà dans mon message "Notre mission/agricultural gates", la barrière de séparation ne sépare pas Israël des territoires palestiniens, mais la Palestine de la Palestine.
Ma collègue Linda observant la situation à la porte agricole de Deir al-Ghusun.

Le grand village de Deir al-Ghusun (environ 10'000 habitants) a perdu 3'000 dunums (un dunum = environ un km2) de terres agricoles lorsque la barrière a été construite. Une confiscation illégale que (presque) personne ne remet en question aujourd'hui. Une seule porte permet aux paysans d'aller cultiver leurs oliviers et elle n'est ouverte que trois fois par jour durant une heure. De plus, un permis spécial est nécessaire et les démarches pour l'obtenir sont de plus en plus complexes. Résultat: seule une soixantaine de personnes peuvent aujourd'hui gagner leurs terres contre des centaines avant la barrière.

Ce matin, comme chaque matin, nous sommes allés faire quelques statistiques pour l'UNOCHA et observer la situation à la porte de Deir al-Ghusun. Le contraste entre les jeeps énormes de l'armée et les mulets des Palestiniens est frappant (aucune voiture ne peut passer les gates, même si les tracteurs sont aujourd'hui autorisés). Par un froid de canard, les soldats demandent aux paysans de lever leur T-shirts et de tourner sur eux-mêmes. Comme à chaque fois, ils argument que chaque Palestinien pourrait cacher une bombe sous ses vêtements et me conseillent de voir le film "The Kingdom" qui montre très bien que chaque Arabe est un terroriste en puissance. Merci...

Notre contact Khaled observant la barrière de séparation et ses terres de l'autre côté.

Ce matin, pour le plus grand plaisir de ma collègue norvégienne, Khaled, un de nos contacts et probablement l'un des paysans les plus sexys de Palestine, avait oublié sa carte d'identité, ce qui ne lui laissait aucune chance de passer la porte. Loin de s'apitoyer sur son sort, il nous a proposé de nous faire visiter les ruines ottomanes des environs. Arpentant de vieilles routes à travers les paysages magnifiques d'oliviers, j'en oubliais presque la situation politique. Mais ici, tout rappelle le conflit: une maison détruite pas l'armée (il est interdit de construire à moins d'un km de la clôture) et une jeep de l'armée effectuant sa ronde le long de la barrière me ramenaient vite à la réalité. Khaled nous expliqua aussi sa situation: son père avait déjà perdu 38 dunums de terre en 1967, lors de la guerre israélo-arabe. Avec la barrière, ce sont 45 autres dunums qui sont aujourd'hui menacés. Or, l'Etat israélien n'a aucune raison pour placer la barrière ainsi: il n'y a aucune colonie juive et l'argument sécuritaire n'est pas non plus valide. Il s'agit seulement d'un moyen pour confisquer quelques terres fertiles.

Khaled nous a ensuite invité chez lui pour boire un thé et un café. Et quand je l'ai vu s'amuser avec ses enfants, je me suis dit que la vie ici était certes dure, mais aussi parfois très belle.