"Tu n'es qu'un petit gauchiste d'Europe!" Voilà ce que m'a dit un soldat israélo-français à un check-point ce soir alors que je lui demandais si un bus avec des femmes et des enfants pouvait passer devant la queue d'une cinquantaine de voitures bloquées depuis des heures par ce même soldat. Petit, je peux pas nier. D'Europe non plus. Même si la Suisse c'est pas vraiment l'Europe. Gauchiste, j'ai toujours un peu de peine avec la connotation parfois négative du terme et je viens finalement plutôt d'une famille de centre-droit. Bref, je me suis remis en question. Ne suis-je qu'un "petit gauchiste d'Europe"? Est-ce que ce que je fais ici a réellement un sens ou ne suis-je qu'un stupide utopiste? Ou pire, est-ce que j'aide les Palestiniens qui ne sont, en fin de compte, que des terroristes?
Aujourd'hui, j'ai vu un paysan d'une quarantaine d'années pleurer en nous expliquant sa vie ici entre le mur et une fabrique de produits chimiques. Fatigué de se battre pour continuer à cultiver sa terre et de subir pressions et menaces.
J'ai vu un enfant d'à peine 4 ans attendre des heures à ce même check-point car son père a 32 ans et aucun homme entre 18 et 35 ans n'était autoriser à sortir de Tulkarem pour rejoindre les villages alentours.
Quatre familles de Far'un, un village des environs de Tulkarem, se demandent chaque soir quand les soldats et les bulldozers viendront détruire leurs maisons, "trop proches du mur". Et construites 4 ans avant ce même mur.
Alors je sais bien que deux Palestiniens perdus et minables se sont fait exploser à Dimona hier. Et ça m'emmerde. Ca m'emmerde parce qu'une femme est morte. Ca m'emmerde parce qu'ils ne comprennent pas que tuer des innocents ça n'aide personne. Ca m'emmerde parce que ça légitime en quelques sortes tout ça: les punitions collectives, le mur, les maisons démolies, les paysans qui pleurent et les enfants aux check-points. Ca m'emmerde parce que ces punitions collectives créent de la rancoeur, de la haine et poussent certains Palestiniens à des actes désespérés et destructeurs.
Alors oui, je me remets en question. Mais si tenter de minimiser les violations des droits humains dans une région au bout du rouleau c'est n'être qu'un petit gauchiste d'Europe. Alors oui. Pourquoi pas? Et finalement, alors que cet arrogant soldat français menaçait de m'arrêter et me poussait loin de ce check-point, le bus plein d'enfants passait le barrage et continuait sa route.
Abdulkarim Saadi (à gauche) et Abdulkarim Dalbah (à droite), deux Palestiniens qui luttent pour un peu plus de respect des droits de l'homme ici depuis des années (avec B'Tselem, ONG israélienne, et ISM). Et qui, malgré tout, continuent de sourire. Quand je travaille avec eux, je ne me demande plus ce que je fais ici.