lundi, avril 14, 2008

La première gorgée de bière

Permettez-moi un petit moment de douceur dans ce monde de brutes. Il y a aussi de très bons côtés dans mon travail ici, au milieu de ce conflit. Je vous ai déjà parlé de l'accueil, des sourires, de la nourriture, du café, des amitiés.
Mais je ne vous ai pas encore parlé de la bière. "Haram!" me direz-vous. L'alcool est interdit pour les Musulmans. Mais il y a aussi des Chrétiens en Palestine. Et, aujourd'hui, j'ai visité une brasserie. Et oui, une brasserie. Celle de la bière Taybeh, "la meilleure de tout le Moyen-Orient" et la seule de Palestine.
Taybeh est l'unique village totalement chrétien de Cisjordanie et on y trouve trois églises (que j'ai visitées aussi, rassurez-vous).
La bière Taybeh a été créée en 1994 dans l'euphorie des Accords d'Oslo (qui étaient censés amener la paix au Moyen-Orient). Aujourd'hui, cette entreprise familiale est l'une des rares de Palestine (avec la compagnie de téléphonie mobile Jawwal) qui arrive à donner le tour malgré les conditions économiques en Cisjordanie.
La clé de ce succès: une méthode artisanale à l'allemande, des produits du terroir et un caractère tout palestinien.

Yasser Arafat aux côtés du patron de Taybeh beer. Même Abu Amar devait succomber aux charmes de cette blonde...

"Shooting back"

"Shooting back" pourrait être traduit par "Tirer à son tour" ou "rendre les coups (de feu)". Mais la seule arme légitime pour les EAs comme pour toutes les organisations non violentes en Cisjordanie, c'est l'appareil photo ou la vidéo. B'Tselem est l'une de ces organisations dont je vous parle si souvent (et avec quelle admiration).

En janvier 2007, B'Tselem a lancé le projet "Shooting back". Le principe est simple: donner des caméras aux Palestiniens qui vivent en zones de conflits pour qu'ils puissent à leur tour exprimer ce qu'ils vivent au quotidien. Le résultat fait parfois froid dans le dos, mais exprime mieux que mes mots la violence des colons, de l'armée, de l'occupation.

Faites un tour sur le site de B'Tselem et regardez surtout les vidéos concernant Hébron. Ca aide à comprendre.

Colons jetant des pierres sur les enfants du villages de Tuba dans les South Hebron Hills. Film de Muhammad Jundieh, 15 ans. Shooting back project. B'Tselem, 11 août 2007.

Juste deux mots sur Annapolis

Le processus d'Annapolis, en deux mots, c'est cette fameuse ambition de Bush de conclure une paix entre Israël et l'Autorité palestinienne d'ici à la fin de l'année.

Chez les Palestiniens et les Israéliens que j'ai rencontrés, l'évocation d'"Annapolis" provoque sourires sarcastiques, indifférence voire indignation. Mais, pour quelques commentateurs (dont je ne remets pas en doute la bonne foi), Annapolis est tout à fait crédible. Moi-même, je me disais: "Mais, après tout, pourquoi pas?" Malgré les check-points, malgré les colonies, malgré l'occupation... Même si les trois leaders qui sont au coeur de ce projet sont si faibles: Ehud Olmert (Premier ministre israélien) ne se remet pas de l'échec de la guerre du Liban; Mahmoud Abbas (son homologue palestinien) est perçu comme la marionnette des Américains; quant à Bush, je ne me permettrais pas de vous rappeler son incompétence crasse.

Mais, après tout, pourquoi pas?


Et bien non! On ne peut pas sérieusement y croire à Annapolis. Deux exemples récents m'ont enlevé tout espoir naïf.

Le premier date d'aujourd'hui même. Je visitais le village de Taybeh avec mes collègues de Yanoun (près de Naplouse) et un prêtre de la région (dont le frère est professeur à l'Uni de Lausanne à noter au passage). Ce prêtre nous décrivait les paysages alentour et nous dit: "Regardez. Là-bas vous pouvez voir l'avant-poste (de colonie) que les Israéliens ont enlevé suite à une promesse faite à Condoleezza Rice ("Condi", en deux mots, c'est l'émissaire de Bush dans la région pour le "processus d'Annapolis"). "Excellent!" me dis-je. Avant de constater que l'avant-poste était non seulement tout à fait bien présent, mais avait l'air d'être fait pour durer.

Colonie israélienne des environs de Taybeh.

Deuxième exemple, encore plus flagrant à mon sens. Il y a deux semaines, Olmert a promis à Condi d'enlever 50 "roadblocks" (rochers bloquant de nombreuses routes de Cisjordanie et restreignant la liberté de mouvement des Palestiniens). Certains questionnaient déjà l'efficacité d'une telle mesure étant donné qu'on compte plus de 560 obstacles physiques bloquant les routes de Cisjordanie (roadblocks, check-points, tas de terre...). Mais c'était déjà un début et les journaux (d'ici du moins) ont loué cette mesure à grand renfort de photos montrant les soldats débloquant les routes.


Un roadblock.

Or, il y a deux semaines, je me suis rendu dans mon ancien placement de Tulkarem et j'y ai rencontré mon ami qui travaille pour l'ONG israélienne B'Tselem. Et il m'en a parlé des roadblocks: sur trois routes des environs de Tulkarem, l'armée israélienne a mis en place un roadblock le mardi matin. Et l'après-midi, les mêmes soldats sont venus enlever les rochers à grand renfort de journalistes et de photographes. Je n'y croyais pas honnêtement. Mais l'information a été confirmée par d'autres sources tout aussi sérieuses et pas seulement dans la région de Tulkarem. Merci pour la bonne foi. Et pour la propagande digne de la défunte URSS.

Vous avez dit Anna qui?